Vagues

Entre la vague annoncée et le vague des propos qui la concerne, il y a un été qui se cherche.

L’irruption de la pandémie et le confinement strict imposé pendant deux mois ont provoqué un choc qui ébranle nos économies, mais aussi notre rapport au temps, au savoir et au langage.

Un choc, donc, qui ébranle notre rapport au monde.

Dès lors, le vague des propos cache mal un malaise, face à cette difficulté patente à dire ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas, et parfois tout simplement à savoir quoi que ce soit sur la question.

Malaise, car les mots et les connaissances faisant défaut, le discours s’évertue néanmoins à maintenir un semblant de maîtrise tentant de dissimuler une ignorance.

Le trompe-l’œil du discours vague brouille l’activité de penser qui, pour s’élancer, doit le déconstruire, et rendre l’espace désencombré à son vide, à son état de terrain vague.

Nous voici donc entre trois vagues.

Première vague

Celle qui déferle, qui rogne les falaises, qui fait chavirer les embarcations, qui enfle et submerge.

Cette vague vient du Nord, du vieux scandinave du XIIe siècle, vag, qui donnera ensuite en néerlandais, en allemand, en suédois les mots désignant la mer, la vague, l’onde.

Elle est attendue avec angoisse, puissance marquée depuis le Déluge du signe de la punition divine, en expiation de nos débordements et de nos excès.

Deuxième vague

Le latin vagus dit le vagabondage, l’approximation, il dit l’indéfini et l’imprécis, l’indécision et l’errance.

Quand le nouveau véritable fait irruption, il ne s’inscrit pas dans une continuité qui permette de le voir venir et de s’y préparer, il nous prend de vitesse, et déborde notre rythme de pensée.

Nous en perdons les mots et parfois la parole, n’utilisant plus qu’un langage flottant, flou, déconnecté d’un réel qui reste indicible parce qu’inédit.

Ce dont on ne peut parler, il faut le taire, écrit Wittgenstein en conclusion de son Tractatus logico-philosophicus.

Troisième vague

Vague encore, avec une autre origine, toujours latine, vacuum, le vide, qui donnera aussi vacance et vacuité.

Comme un terrain laissé vague, débarrassé des constructions vaines, un champ s’ouvre sur rien, et l’à-venir encore inconnu.

Vacance donc.

Ici, la pensée commence.

Elle permet de repérer le manque sous le vague du discours, et de supporter le doute qu’il induit.

Un commencement possible.

Retour à la vague première

La vague venait de plus loin encore, d’une base indo-européenne webh, qui indique l’action de se mouvoir en va-et-vient.

En va-et-vient comme diastole et systole, comme flux et reflux, la vague nommerait ainsi l’onde elle-même dans toute son amplitude et sa profondeur, ainsi que les multiples interactions dont elle résulte et qu’elle produit.

Dès lors, la vague qui déferle ne serait-elle que l’arbre qui cache la forêt que nous ne voulons pas voir, le doigt que nous regardons plutôt que la lune ?

Une vibration gagne toute la surface et l’anime.

Et pour qui sait voir, entre le creux et la crête, un paysage en mouvement.

Daniel Migairou, juillet 2020