Poïétique de la parole ouverte

Thèse de doctorat en philosophie soutenue le 15 décembre 2023 au Cnam de Paris.

Poïétique de la parole ouverte. Actualité de la médiation singulière comme clinique de l’être-sujet au travail.

Sous la direction de M. Éric Hamraoui, maître de conférences HDR en philosophie (Cnam)

Thèse effectuée dans le cadre d’une Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) avec l’Association nationale de la recherche et de la technologie, le Centre de recherche sur le travail et le développement du Cnam et le Cabinet Interstices Médiation.

Jury

Mme Corinne Gaudart, directrice de recherche au Cnrs-Lise et ergonome : Présidente
M. Stéphane Haber, professeur de philosophie, Université Paris Nanterre : Rapporteur
M. Thomas Périlleux, professeur de sociologie, Université catholique de Louvain : Rapporteur
Mme Dorothée Legrand, chargée de recherche en philosophie, Cnrs-Ens Archives Husserl : Examinatrice
Mme Muriel Prévôt-Carpentier, maîtresse de conférences en ergonomie, Université Paris 8 : Examinatrice
M. Pierre Marie, psychanalyste : Invité
Mme Laure Veirier, directrice associée du cabinet Interstices Médiation : Invitée

Résumé de thèse

Poïétique de la parole ouverte. Actualité de la médiation singulière comme clinique de l’être-sujet au travail. – À partir de la pratique clinique de médiation singulière, et en prenant principalement appui sur des travaux de philosophie contemporaine, cette thèse se propose de faire un état des lieux des effets du discours de la performance sur la parole du sujet au travail, de repérer les déterminations d’une crise mutique paradoxale de la dimension d’être-sujet, et d’identifier les ressorts inventifs propres à la parole singulière. En effet, les mutations récentes du travail apparaissent comme étant à la fois cautionnées et amplifiées par le développement d’un nouveau type de discours, le discours de la performance, qui conditionne la parole des personnes au travail en malmenant leur dimension de sujet. Les demandes d’accompagnement professionnel, dont le nombre va croissant, s’énoncent depuis ce discours auquel elles adhèrent et dont elles révèlent l’emprise sur l’usage actuel de la parole. La médiation singulière est une pratique d’accompagnement professionnel atypique, qui vise à faire place à la dimension de sujet en créant les conditions de possibilité d’une réarticulation entre travail et parole. Cette pratique, qui peut être située épistémologiquement entre analyse du travail et de l’activité, philosophie et psychanalyse, constitue le terrain et le paysage de cette recherche. La demande y est considérée dans ses multiples déterminations paradigmatiques dont un repérage fin permet de suspendre toute évidence d’y répondre. La notion d’individu apparaît tout à la fois comme la contre-face de la demande et son horizon, se substituant à la dimension d’être-sujet alors reléguée. Toutefois, l’emprise de ce discours sur la parole peut être renversée en séance à partir de la non-réponse à la demande, et selon trois principes. Le premier est la place faite au corps sensible dans l’acte de parole, là où est attendu au travail un corps désensibilisé, chosifié, exploité. Le deuxième est l’institution du sujet, ramenant à la loi des êtres de langage, une loi donnant et reconnaissant une place à l’être parlant en dehors de toute autre condition. Le troisième est le principe d’inadéquation, comme alternative à l’injonction de maîtrise et de contrôle consubstantielle au discours de la performance, qui imprime son ordre en donnant l’illusion qu’il est privé de toute alternative. Ces trois principes peuvent concourir en séance à une subversion de ce discours. Pour cela, le praticien en médiation singulière occupe, dans le dispositif qu’il met en place et conduit, une position de tiers-vide-instituant, par laquelle il crée et maintient une disparité qui détonne et déconcerte, permettant l’instauration d’un lieu faisant place à l’écart et au différent. Il soutient la possibilité du manque, veille à l’ouverture propre à l’acte de dire, coupe dans les continuités reconstituées, accueille ce qui émerge et surprend. Il met en œuvre un savoir praxique, un savoir qui s’élabore par des allers-retours entre pratique et théorisation. C’est à cette condition que la position de tiers-vide-instituant est tenable et agissante, qu’elle permet l’émergence d’une inventivité articulée au singulier. Cet inventif singulier est le fait de l’être parlant, c’est-à-dire d’un être qui consent à passer par la parole, à faire de la parole ce par quoi se tisse une relation singulière à soi, à l’autre et au monde. Cette relation passe par l’habitation de l’ici et l’engagement dans les accès qu’elle autorise. Elle s’inscrit dans le rythme et la temporalité contrapuntiques d’une parole pensante. Elle repose sur l’exigence d’une tiercéité suffisamment tierce. Enfin, le politique et le psychique, qui étaient maintenus hors-champ par le discours de la performance, peuvent être réintégrés à l’échelle de l’acte de parole qui articule alors la singularité de l’être-sujet à un désir de faire-monde.

Mots clés

Médiation singulière, tiercéité, être-sujet, institution, inadéquation, inventivité