Dégrippage ?

On ne rompt pas un jeûne par un festin.

La réouverture des espaces publics et la pleine reprise des activités économiques apparaissent à de nombreuses personnes comme un moment certes heureux, mais aussi brutal.

L’expérience vécue depuis mars 2020 se réduirait-elle à celle d’une simple privation, dont le terme unanimement célébré signifierait la reprise à l’identique ?

Certes, les mesures gouvernementales et les contraintes sanitaires ont conduit à de considérables restrictions des moments de présence avec les autres.

Pour certaines personnes, cette restriction a signifié l’amputation d’une dimension essentielle de leur existence.

Pour d’autres personnes, elle a été vécue comme un soulagement, les dispensant de situations dans lesquelles elles sont mal à l’aise et qu’elles évitent.

Mais pour les unes comme pour les autres, ce temps inattendu a été un moment d’expérimentation d’une autre façon de vivre et de penser.

À son retour dix ans plus tard, personne ne veut du Colonel Chabert.

Car dix ans de vie écoulés ne permettent pas de retour en arrière.

Alors quinze mois de quasi-confinement nous laisseraient-ils intacts, prêts à reprendre à l’identique nos activités d’avant ?

Et si nous avons changé, pouvons-nous nous satisfaire de recommencer « comme avant », comme si rien ne s’était passé ?

Le fait que l’inattendu ait eu lieu autorise-t-il à penser d’autres options tout aussi inattendues ?

Lorsqu’un système fonctionne sur l’exclusion de toute alternative et accélère toujours, la surchauffe menace et la friction peut s’accroître jusqu’à l’arrêt pur et simple.

L’expérience étonnante qu’une autre façon de vivre est possible (qu’elle ait été bien ou mal vécue) invalide l’affirmation tant de fois répétée de l’impossibilité de faire autrement.

Et pose ainsi modestement les termes d’un possible dégrippage, autorisant la remise en mouvement d’un avenir à inventer.

Daniel Migairou, juin 2021