Lapsus

Une campagne publicitaire qui vire au lapsus ?

Ce ne serait pas la première fois.

Pendant quelques semaines, on pouvait voir sur les abribus franciliens ces images d’enfants, chacun pleinement et passionnément engagé dans un jeu : faire décoller une fusée, ausculter avec un stéthoscope, jouer de la guitare électrique.

Rayonnants, concentrés, en pleine aventure.

« Quand je serai grand, je serai… » : astronaute ? ingénieur ? médecin ? infirmière ? musicien ? compositeur ? ou encore des dizaines d’autres métiers qui peuvent être évoqués par ces images.

Et bien, non, dit la publicité, qui inscrit un seul mot, le mot unique, qui vient comme en lieu et place de tous les autres noms de métier.

Commercial, donc !

Mot unique qui, c’est là ce qui donne à ce lapsus toute sa puissance, s’entend aussi bien comme adjectif que comme substantif.

Si l’usage actuel en a fait un nom, c’est par substantivation récente d’un adjectif, et dans la phrase, la grammaire n’indique pas l’un plutôt que l’autre.

Nous pouvons donc tout à fait entendre le message suivant : être grand, quelle que soit son activité, c’est être commercial dans sa façon de l’effectuer.

Commercial devient l’attribut qui nomme une façon d’être, et ainsi recouvre tous les métiers, les unifie, les homogénéise, les standardise, les engloutit.

Cela parlera à toutes les personnes qui souffrent de la marchandisation de leur activité ou de leur métier, et pour lesquelles la valeur de leur travail ne se réduit pas à sa commercialité.

Paradoxalement, en contrepoint de cette injonction à la commercialité de tout, quelque chose se donne à voir dans l’image, dans l’arrière-plan du message, d’une certaine grandeur, cette grandeur d’âme qui s’exprime dans les rêves de l’enfance, dans les jeux passionnés, dans ces moments de la vie où se prennent des élans qui parfois, sous des formes inattendues, traversent les existences.

Me revient le souvenir de ce poème de Peter Handke, que l’on entend dans le film Les Ailes du désir, et qui se termine ainsi :

Lorsque l’enfant était enfant, il a lancé un bâton contre un arbre,
comme un javelot
et il y vibre toujours

Daniel Migairou, octobre 2021