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La réactivité est une notion maligne.

Elle apparaît d’abord comme une qualité, recherchée dans le monde du travail, vantée par le discours managérial, et très appréciée par l’entourage.

Elle ne cache pas qu’elle implique une disponibilité et une vigilance de chaque instant, mais sous le seul aspect d’une vertu qui serait semble-t-il sans ombre, ni risque.

Or la personne qui souhaite être réactive se place d’elle même dans une position de totale hétéronomie.

Parce qu’il s’agit alors pour elle de ré-agir, et non pas d’agir, son activité est contrainte quant à son moment et à son rythme.

C’est un autre, fut-ce sous la forme d’un contexte, qui dicte la conduite à tenir, impose le tempo, fixe l’échéance.

Dans cette effectuation exogène, la personne est instrumentalisée, et quasiment réduite à un servomécanisme, c’est-à-dire, selon le dictionnaire Le Robert, un mécanisme automatique capable d’accomplir une tâche complexe en s’adaptant aux consignes qu’il reçoit.

Comment comprendre l’indulgence dont bénéficie cette forme contemporaine de servitude volontaire ?

Aurions-nous succombé au fantasme de l’immédiateté ?

La réactivité serait-elle une façon de contribuer à un escamotage imaginaire du temps ?

Or le temps est précisément ce sans quoi est impossible l’acte d’œuvrer.

Œuvrer ici est à entendre comme une façon de travailler sur un objet considéré comme ayant de la dignité, de l’importance, de la noblesse, comme le mentionne le dictionnaire du Cnrtl.

La dignité, l’importance, la noblesse, lorsqu’elles sont attribuées à l’objet du travail, rejaillissent sur la personne qui peut ainsi s’en approprier les dimensions qualitatives et s’en reconnaître l’auteur.

Cela suppose un acte de travail dans lequel la personne est maîtresse de son temps, non pas dans l’absolu, non pas hors toute contrainte, mais dans le très relatif de son cours dans lequel celle-ci, in situ, peut produire et conduire son acte.

Œuvrer, à l’opposé de réagir, nécessite un écart, un différé, le renoncement à l’illusion d’une compacité adhésive qui prétendument collerait au réel en annulant toute dimension subjective.

Dans toute acte de travail, la dimension d’œuvrer commence, possiblement, par la suspension de la réactivité, ouvrant un espace et un temps, même restreint, même bref, une différance, au sens que propose le philosophe Jacques Derrida.

Une différance qui prend valeur de coupe-feu, protégeant des formes contemporaines de consumation appelées stress, burn-out, épuisement.

Daniel Migairou, décembre 2021