Avec le temps

Jamais Achille ne rattrapera la tortue, dit le paradoxe de Zénon d’Élée.

Derrière le questionnement philosophique et mathématique, il nous adresse la question suivante : quelle est donc cette course qui se gagne mieux par la lenteur que par la rapidité ?

Cette question est brûlante.

La limite est étroite entre la suractivité et le burn-out.

Le philosophe Harmut Rosa, dans Aliénation et accélération, pose bien la chose : Jamais auparavant les moyens permettant de gagner du temps n’avaient atteint pareil niveau de développement, grâce aux technologies de production et de communication ; pourtant, jamais l’impression de manquer de temps n’a été si répandue.

Comment ces nouveaux moyens qui nous donnent la possibilité de gagner en rapidité créent-ils le manque de temps ?

Nous laisserions-nous pousser par l’accélération des processus à remplir le temps libéré par de nouveaux usages, au nom des potentialités qu’ils portent ?

Cette accélération généralisée déborde largement le cadre du travail, régi par l’injonction de productivité, et affecte aujourd’hui l’ensemble de nos existences.

Elle rencontre peut-être en nous une aspiration très ancienne à maîtriser le temps.

C’est alors oublier que ce n’est jamais le temps que nous organisons, mais nos activités.

Il y a donc une logique d’exploitation de nous-mêmes que sous-tend la course contre la montre, une logique du résultat.

Cette lutte contre le temps conduit à supprimer ce que l’on appelle les temps morts, ou les temps perdus, qui sont en réalité des moments simplement déliés, détachés, de la logique de finalité, en tout cas de façon directe.

Voilà peut-être une voie qu’ouvre la lenteur : la possibilité pour des actions d’être vécues aussi pour elles-mêmes, indépendamment du résultat.

Car nos activités n’ont toujours lieu qu’au présent, et constituent le moment vécu d’une véritable expérience qui implique attention, énergie, et mobilisation des sens.

Ainsi, peut-être est-ce en décentrant nos actions de leurs seuls résultats que nous pouvons gagner une façon, comme l’écrit le poète Valère Novarina, d’habiter le temps.

Daniel Migairou, novembre 2019

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