La distance en présence

Les mutations actuelles du travail conduisent à une généralisation des formes de télétravail ou téléactivité.

Nous pouvons travailler et communiquer avec d’autres qui sont loin, dans une forme de proximité qui a pour paradoxe de mettre la relation à distance.

En effet, ces nouvelles modalités relationnelles reposent sur des dispositifs techniques qui font interface.

C’est ainsi que, tout au long du XXème siècle, l’usage du téléphone a conduit à un réaménagement du rapport entre parole, espace et temps.

Dès lors qu’il devenait possible de se parler tout en étant loin, cela signifiait que le maintenant de la relation n’était plus lié à l’ici.

Les nouvelles technologies de communication multiplient les interfaces et brouillent encore davantage nos repères dans la relation au travail.

A quel moment sommes-nous au travail ou hors travail ? disponibles ou indisponibles ? joignables ou injoignables ?

Si le lieu du travail est l’interface elle-même (téléphone, ordinateur), alors la proximité est permanente : il devient impossible d’en sortir.

Sauf à être capable de poser par soi-même des limites en terme de temps et de disponibilité.

Par ailleurs, la communication à travers des interfaces tend à devenir la nouvelle norme relationnelle, dont la rencontre réelle dans un même lieu ne serait qu’une variante.

Or la rencontre en présence est le lieu-même qui permet d’inscrire la relation dans la complexité de l’humain.

La parole s’y risque dans un espace rendu disponible, qui sépare et qui relie, un espace entre.

Combien de malentendus sont levés – et de conflits réglés – en un temps parfois étonnamment bref, dès lors que les personnes se trouvent en présence dans un espace entre, dédié à la parole.

Les organisations ne peuvent ignorer sans dommage la déperdition qualitative des collaborations qui manquent d’un lieu permettant la rencontre.

Cette intelligence qui ne s’obtient que par la mise en présence de personnes en chair et en os surprend toujours.

Arbitrages, négociations, médiations : autant de processus qui se multiplient là où les systèmes tendent à réduire la communication à un échange d’informations confié sans réserve à l’interface des machines.

La relation professionnelle, quand elle ne peut plus s’appuyer sur cette expérience de la distance en présence, s’appauvrit à la fois en terme d’efficience et en terme de sens.

Daniel Migairou, octobre 2019

 

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